L'horloge Bulova
D'après les photographies d'Arthur Tress À Didier, Sibylle et Yves
Il dort sous les glaïeuls Autour de lui les icebergs fendent les façades vitrées des gratte-ciel Il dort dans un nid de paille La poussière empèse la rue Il dort dans un sac plastique Des faïences fêlées font un dernier pont à ses rêves zippés d'or Il escalade un aqueduc en fermant les yeux Ses talons écrasent du nuage Il s'offre au miroir murmure même et quand même Sur un toit de zinc il dort blotti dans la poche d'un marine
S'accouple sur un ferry de dimanche midi Parmi les dents chromées les dérailleurs graisseux Des tandems et bicyclettes Un ange le coiffe un cadenas au cou un ange né du plexiglas new-yorkais Il dort en croix sur les rails Et le wagon GATX 37541 avance - le machiniste du GATX 8301 ne porte qu'une casquette en visière et sa sueur Il se rejoue la Passion : Crachats joues labourées noir charbon et bois vinaigre aux lèvres Hiatus rouillé Le Christ
(Il fait un jaune de chaleur plombée Un piolet transperce le silence)
L'homme en noir sévit préférentiellement Dans les squats portuaires Il dort derrière les cibles uniformes Des blockhaus Il est quatre heures moins le quart À l'horloge Bulova Et quelqu'un qui ne voit ni ne parle Est assis attentif sur sa chaise électrique Cet autre pend treuillé - de l'océan comme toujours - parmi viandes couteaux et poussières Icare abandonné ailes en plan Il est deux heures è l'horloge Bulova Tout compte fait : un poids de chair des cernes mécaniques Des machines solitaires des palmiers qui tombent
Il caresse des pages il rêve de planchers è noeuds Il dort il disparaît Rêver n'est que piège couac de violon amer, buste de plâtre peinturluré, harmonies en remous, fleur tardive, main de cire entre cuisses... mais la lumière la juste sciure... Il rêve qu'il rêve le sommeil Un lynx feule Il est allongé offert ampoule au monde Il dort sur la scie d'un montagnard ganté Il dort sur la roue d'un cycliste en peau de chamois Il dort dans les lunettes d'un Texan tueur de coqs
Il parle en dormant Rêve qu'il pleut lacs et laine de verre masques primitifs et marionnettes en bois coléoptères et ongles : mains de fenouil long En dormant il tatoue le monde : Un phallus calme brandi dans une eau lacustre Les feuilles les larmes Une chambre paresseuse deux hommes éblouis Dans l'odeur de vitre matinale Des landaus remplis e têtes de poupées - NO TRESPASSING, VIOLATORS WILL BE PROSECUTED -
Paris, le 27 juillet 1989 Extrait de CruciFiction
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