Elle ne suffit pas l'éloquence
Elle ne suffit pas l'éloquence. Mon coeur ce soir se balance Et glisse au fil d'une paupière Lampion de misère Qui n'éclaire pas ma nuit. Homme noir mais non d'onyx, Homme couleur de dépit Titubant par le marais des petites haines, Tu voudrais Comme une alouette son miroir Un soleil où mourir avec ta peine. Tu cherches mais trop inquiet Pour trouver ton Reposoir. Rien ne brille Ni les yeux, ni le fer, ni l'aimant anonyme Qui libèrent de mille clous Tes douleurs Où l'essaim des mouches au vol boiteux Des mouches qui n'ont qu'une aile Allument de piètres étoiles de sang. Jongleur, Jongleur de paroles, Tes mots s'écrasent contre les murs. Ton angoisse - encore un ruban frivole - Couronne Un cerveau qui trop longtemps a joué au « pigeon vole ». Les lettres du désespoir Ce soir Sont égales aux lettres des bonheurs d'autrefois. Que dirai-je alors ! Que te dirai-je à toi Frère né de mes pieds Sur un sol où tu ne vis que pour m'épier. Trottoir que j'ai suivi Pour son mensonge de granit. J'ai oublié que là-bas était la mer Et j'ai fui l'eau miroir d'étoiles Pour chanter une main Dans une autre main. Fleuve vert. Enfance douce Pitié pour l'homme qui passe L'homme qui mord sa lèvre Dans ces lèvres Car il a peur d'oublier le goût de bouche. Timonier brun, sous la toile bleue La peau couleur de cheveux, Holà ! beau voyageur, Tu allais vers la mer Maintenant tu marches sur les flots Et moi qui cherche au ciel un trou, un hublot Je suis le noyé des terres. Dis qu'il n'est pas trop tard, Ô mon orgueil, pour jouer au phare. Et sur le matelas des herbes tendres Tombe en triangles de métal. Mon coeur aura beau hurler son mal, Mon coeur j'en ferai des lanières, Des lanières que je saurai teindre Ou tordre en chiffres Plus définitifs Que les oeufs dans leurs coquilles Et les momies dans leur robe d'or. Et toi, mon corps, maudis les sens comme un malade ses béquilles.
Création,1924.
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