Préface - Dans la roue du paon

Dans la lecture du poète des fêtes « sévères », Guy Cabanel, il ne faut s'attendre à aucun écart de langage. Si écart il y a, au sens de feu la rhétorique, il est le fait du langage dans son entièreté. En ce sens, son oeuvre poétique peut résolument être placée dans la constellation hallucinée de l'Arc et la Lyre d'Octavio Paz, selon laquelle l'homme serait une métaphore du langage. Que cela au moins soit entendu dès le seuil de cette poésie : Dans la roue poétique de Guy Cabanel scintille l'image baroque, qui n'a d'autre nomination qu'elle-même, métaphore in absentia. C'est la qualité singulière de cette image poétique qui fait de Guy Cabanel un poète résolument à part, y compris dans le mouvement surréaliste. Il n'est pour s'en convaincre que d'ouvrir Les fêtes sévères dont les Hauts-Fonds proposent conjointement la redécouverte :

La crête lourde où le volcan rutile, combat
démesuré vrille aux yeux des
combattants, nus dans la neige ardente.

Dans ce verset (le premier du poème inaugural du livre), l'analogie poétique ne repose pas sur des termes qui seraient mis en relation, fût-ce arbitrairement, en termes comparé et comparant de l'image. Il n'y a tout simplement plus de comparant qui résulterait d'une image poétique particulière, ou plutôt c'est le langage poétique tout entier qui est devenu l'unique comparant. Et tout y est rigoureusement comparé, caractérisé par le chant. Rarement, cette idée surréaliste selon laquelle le langage est un « tout-image » a été à ce point accomplie. Ainsi, au coeur de ce verset, le substantif « vrille » est le Verbe d'une image lovée dans la syntaxe, qui le file aux yeux des combattants. Tel est Guy Cabanel, un rare poète baroque surréaliste. Et nul ne s'étonnera des mots que lui adressa André Breton lorsqu'il accueillit À l'animal noir : « Ce langage, le vôtre, est celui pour lequel je garde à jamais le coeur de mon oreille. C'est celui dont j'ai attendu qu'il ouvre de nouvelles communications, vraiment sans prix et comme par voie d'étincelles, entre les êtres. »

Cette prégnance du poème sans partage avec la logique de l'écriture réflexive est telle qu'en dehors de sa correspondance, le poète ne livre que bien rarement des textes en prose. Qui plus est, parmi ceux-ci, et exemplairement, ses réponses à de suggestifs questionnaires de revues peuvent être considérées comme l'autre versant, en prose, de la même montagne poétique. À ceci près que ce versant-ci serait moins exposé aux éléments du simple fait que la prose du poète y serait motivée par une sollicitation extérieure, qu'étayeraient les présupposés d'un dialogue. Or, précisément, l'émerveil­lement ailleurs ressenti à la lecture du poème mue (comme le paon) par cette prose en un ravissement, au sens premier du mot, le poète opérant un véritable rapt du thème qui lui est soumis. Cette prose inattendue montre ainsi, par extraordinaire, ce que le poème tient sous le boisseau disséminant du mot-image. Participant sans aucun doute du même esprit que le poème, elle s'offre donc à être lue, appréhendée, comme un déploiement narratif de l'imagination du poète. C'est là à l'oeuvre entre poème et prose une étrange complétude, engageant tout autre chose que des questions académiques de genre ou de forme littéraires chez un auteur qui n'admet pas, par principe, quelque trace que ce soit de prosaïsme dans son poème. Mais, à tout le moins, si cette complétude est effective entre les deux pratiques d'écriture, c'est bien que le poème et la prose entretiennent chez le poète un identique désir d'inventer.

C'est ce même dessein que nous avons nourri avec l'auteur en composant cet ouvrage, réunissant prose et poème « dans la roue du paon ». Il nous importait de donner à percevoir au lecteur, à l'amateur comme au connaisseur, le cheminement d'une unique imagination poétique que le poème, ailleurs dans l'oeuvre du poète, recèle plus qu'il n'expose.

Depuis l'accueil dans le mouvement surréaliste d'André Breton, au travers de son étroite collaboration avec le dessinateur Robert Lagarde (et ici Jacques Lacomblez), dans les pages des revues Vigies Le Surréalime Même, L'Archibras ..., jusqu'à nous, le poète a pris le temps. Tant ces proses et ces poèmes on en commun d'être « d'autre mémoire ». Et c'est dans ces circonstances qui lui appartiennent, des circonstances déliées au foisonnement d'accents inouïs et innombrables, que le temps de cette écriture est venu.

Patrice Beray, préface à Dans la roue du paon


Réflexions sur l'Ange

Tout ce qui a été dit à propos de l'Annonciation pourrait n'être qu'un chapitre d'une entreprise beaucoup plus vaste qui traiterait de l'intervention des anges dans le milieu humain. L'ange pourrait n'être qu'une émanation partielle de la divinité ou, si l'on veut, de sa facette adéquate à l'intervention choisie. Il n'aurait de réalité que par sa projection dans l'espace et le temps car c'est là qu'il acquerrait matérialisation et personnalisation, et ses ailes, inutiles à un être purement spirituel, ne seraient pas seulement là pour assurer sa mobilité dans l'air mais surtout pour garantir ou symboliser sa liberté par rapport à cet espace-temps où il est entré.

Mais la position de l'ange dans ce monde est alors dangereuse car, ainsi matérialisé pour entendre et se faire entendre, ne doit-il pas ressentir les mêmes pulsions, passions et sentiments que n'importe quel individu, et le fait d'y céder, au propre comme au figuré, ne lui couperait-il pas les ailes ? C'est dire qu'une parcelle de divinité perdrait alors son caractère divin, entraînant dans sa chute la divinité entière en vertu de son indivisibilité. Que l'ange subisse une tentation, c'est sûrement ce qu'ont pressenti et exprimé quelques très grands artistes.

Ainsi l'émerveillement devant Marie que Pontormo manifeste par un reflet de feu sur la joue de Gabriel ou bien le regard épris que Giambattista Tiepolo trace sur le visage de l'ange conduisant Agar. Mais si l'ange n'est que la projection programmée d'une infime portion de divinité, son ignorance de l'état de matérialité où il se trouve suffit peut-être à le garantir contre les effets de la tentation. Et cette éventualité m'apparaît lorsque je me souviens du poème qui me fut inspiré par cette œuvre de Tiepolo, où l'ange se lamentait de son immatérialité.

Post-scriptum
La théorie que j'expose ici (faut-il le regretter ?) ne concorde pas du tout avec celle de saint Augustin selon qui, loin d'être une parcelle de la divinité, l'ange est une créature de Dieu au même titre que l'homme, qu'en outre sa nature à la fois incorruptible et peccable, si elle autorise les péchés de l'esprit, n'admet pas ceux de la chair.

Extrait de Dans la roue du paon

Les Hauts-Fonds Éditions
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Collections Poésie et Porte-Voix

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